« Tu te souviens du jour où tu as failli tomber dans une énoorme flaque boueuse ? J'ai adoré ta tête. Enfin, je ne l'ai pas vue, mais tu étais tellement haineuse que j'ai senti que je l'aurai aimée si je l'avais vue. Non, vraiment, tu étais risible. » Théara rangea son jean dans son armoire, ne pouvant s'empêcher de sourire. Oui, elle se souvenait parfaitement de ce fameux jour. Il avait plu toute la nuit et au petit matin, elle avait décidé de faire une escapade en forêt. Alors qu'elle s'apprêtait à courir, elle s'était arrêtée, nez-à-nez avec une immense marre de boue. Au moins deux milles mètres de profondeur, à en juger par les dires d'Azdar, qui continuait sur sa lancée. « C'est triste qu'il soit arrivé à c'moment là, moi, j'aurai bien aimé te savoir couverte de boue. C'est très sexy tu sais. Il paraît que c'est bon pour la peau des humains. » Cette fois-ci, la jeune femme éclata ouvertement de rire. Woann était arrivé à pic, c'était un fait. Elle secoua la tête et rabroua gentiment son Totem, tout en s'observant dans son miroir. Elle releva ses boucles blondes en un chignon rebelle, dévoilant la courbe appréciable de sa nuque. Une épingle entre les lèvres et une main dans les cheveux, Jill entreprit alors de faire tenir cette coiffure improvisée. Pour ce qu'elle s'apprêtait à faire, elle avait besoin d'être libre de ses mouvements et pour cela, il n'y avait rien de mieux que de s'attacher les cheveux. Dès que ce fut fait, elle jeta un peil à sa tenue. Ce n'était vraiment pas l'idéal pour peindre, mais elle aimait tant cette robe qu'elle n'eut pas le coeur à la retiré. Elle glissa ensuite sa couronne de fleur parmi ses boucles et les caressa du bout des doigts, se sentant soudain plus entière. « Tu te prends pour un pot de fleurs ? » La jeune femme fit claquer sa langue, agacée, et Azdar se tut. Il savait où et quand ne pas dépasser les limites et elle l'en remerciait toujours.

Théara soupira et ferma la fenêtre de sa chambre. La lumière était d'une telle intensité qu'en s'éveillant ce matin-là, elle avait su ce qu'elle ferait de sa journée. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas peint et l'occasion était déjà là, prête à être saisie. « A ton avis, d'où la lumière sera t-elle la plus belle ? » Elle attendit quelques secondes, sentant son Totem réfléchir. Lorsqu'il le voulait, il pouvait se montrer si amical qu'elle en était étonnée. « Terasses. Et puis j'aime bien surplomber le monde. » Cela ne l'étonna pas, il lui avait d'ailleurs offert cette manie à elle aussi. Elle sourit un peu plus et attrappa ses affaires avant de sortir de sa chambre qu'elle ne ferma même pas à clef. Personne ne se risquerait à y entrer en son absence et pour cause : ceux qui l'avaient fait et y avaient laissé cher. Elle se rendit alors aux terasses, ses talons claquant au sol avec aisance. Elle adressa même un sourire à chacun des élèves qui croisaient sa robe, recevant avec joie les regards émerveillés. Car oui, elle avait une allure folle, une allure de reine. Et elle le savait. Sa robe vert pâle lui collait à la peau et son corset soulignait sa taille mince, mettant sa jolie poitrine en valeur. Elle savait se tenir, elle savait se montrer distinguée et personne ne l'ignorait.

L'Incarnation arriva finallement sur la grande terasse principale et elle soupira de ravissement. D'un geste distrait, elle renvoya les élèves présents qui ne protestèrent pas. Elle voulait être seule pour peindre afin d'être sûre que nulle âme ne viendrait troubler sa concentration. La jeune femme installa son cheval en plein soleil, admirant la vue : d'ici, elle pouvait contempler l'immense jardin sujacent, couvert de fleurs et d'arbres en tous genres. Elle aimait tellement cet endroit qu'elle aurait pu y passer des jours et des nuits sans désirer rentrer. Théara Jill s'installa finallement devant son cheval, le soleil tappant sur sa nuque pâle. Elle ne craignait pas les coups de soleils, sa magie la protégeait tout le temps. La demoiselle plongea en elle, cherchant sa concentration habituelle. Lorsqu'elle la trouva, elle ravala un sourire et commence à esquisser les contours de son oeuvre, se délectant sans cesse de cette vue somptueuse. Il n'y avait qu'une seule ombre au tableau en ce jour parfait. Sans qu'elle ne sache pourquoi, le regard sombre de Woann se dessina sur sa toile de sa propre main. Elle trouvait que cela rendait bien, au milieu de cette jungle luxuriante. Mais peut-être qu'elle se trompait, au fond. Elle ne savait pas vraiment ce qui rendait bien, surtout lorsqu'il s'agissait de lui.

Théara était perdue dans la contemplation du paysage devant elle. Ses grands yeux gris allaient et venaient entre sa toile et les immenses arbres, tâchant de retrouver avec précision leurs silhouettes floues. Ses mains traçaient avec habilté le moindre détail, s'envolant, glissant sans mal. Mais il y avait ce regard en plein milieu qui semblait se fondre dans le tout. Un simple regard perçant, deux yeux profonds, insolents mais attirants. Elle les effaça du bout du doigt, leur donnant un air plus mystérieux encore. Comment pourrait-elle les peindre ? Elle ne parvenait jamais à déterminer la nuance exacte de ses yeux. Tantôt plutôt ambrée, tantôt sombre comme la terre, elle ne cessait d'aller et venir au gré de ses humeurs. C'était sans doute un infime détail qui n'importait que peu mais la preuve était là. Elle connaissait le moindre détail de lui et cela devenait sérieusement terrifiant. La demoiselle soupira ; elle ne savait pas, voilà. Peut-être pourrait-elle les retirer complètement de sa toile et ne plus se poser de question ? C'était une option intéressante, dans le fond. « Tu dis ça mais tu sais que tu ne le feras pas. J'ai cessé de compter le nombre de fois où tu as dit que tu le sortirais de ta vie. Etrange, il est toujours là. » La jeune femme baissa les yeux et resta quelques secondes dans le vague. C'était bien vrai, elle ne parvenait pas à l'écarter une fois pour toute de sa vie. Comment le pouvait-elle ? Il était là, toujours là. Et elle se prennait à trouver sa présence rassurante. « Tu me donnes envie de vomir, tu deviens d'un romantisme totalement minable, Jill. » Agacée, l'Incarnation leva les yeux au ciel et attrappa son pinceau. Non elle n'était pas romantique, loin de là. Elle cherchait des réponses.

La jeune femme commença à peindre, l'esprit un peu plus vide qu'avant. Elle n'avait plus besoin d'autant de concentration mais elle ne voulait pas non plus se laisser aller à des suppositions futiles. En somme, elle ne voulait plus continuer sur le même chemin qui lui plombait la vie.

WOANN •• « Tu profites ? »

Théara ne sursauta même pas. Elle se contenta de sourire légèrement. Elle l'avait entendu venir et c'était sans doute à cause de sa présence qu'elle avait voulu effacer son regard de sa toile. Mais c'était sûrement trop tard, alors elle n'en avait rien fait. D'un geste machinal, elle se frotta la nuque avant de sentir un regard acéré se braquer sur cette dernière. Presque aussitôt, tout lui revint en mémoire, y compris la marque sombre dans son cou. Elle haussa les épaules. Elle n'avait rien à cacher et elle n'avait surtout rien à regretter. Aussi se tourna t-elle vers Woann, aussi radieuse qu'à son habitude lorsqu'il entrait dans son champs de vision.

THEARA •• « Mais oui, je profite. Je crois que c'est même toi qui, un jour, m'as conseillé d'agir ainsi face à la vie. Je n'oublie jamais rien. »

Son sourire s'élargit un peu plus, alors que ses yeux gris acier brillaient. Elle ne cherchait pas à le provoquer, loin de là. Si elle l'avait voulu, elle aurait utilisé d'autres méthodes bien plus radicales. La jeune femme ne le quitta pas des yeux tandis qu'il venait vers elle, semblant jeter un oeil à sa toile. Là non plus, elle n'avait rien à cacher. Elle soutint son regard noisette quelques secondes jusqu'à ce que ce soit lui qui le détourne. Non, vraiment rien à cacher. Pas comme d'autres.

Théara s'étira distraitement et lissa sa robe avant de se lever. Même ainsi, elle ne surplombait pas Woann. Elle était cependant à la bonne hauteur pour atteindre ses lèvres sans effort, ce qui la brûla un instant. Mais elle n'en fit rien, s'éloignant au contraire de lui. Elle s'adossa à la rembarde, observant les jardins sous elle. C'était beau, tout était beau ce jour-là. Ses boucles blondes rebelles dévalaient sa nuque, étincelantes sous la lumière presque irréelle qui baignait l'endroit. Elle ne parvenait pas à oublier le ton acerbe du Feu lorsqu'il lui avait parlé, quelques secondes auparavant. Lui repprochait-il la présence de cette marque violacée sur sa peau ? Cela ne le regardait pas, après tout. Elle n'ignorait pas qu'il allait partout dans son dos.
Et curieusement, cette pensée lui serra le coeur, lui donnant soudainement envie de vomir. « Tsss. La faiblesse humaine. » Azdar était mesquin mais cela lui fit du bien. Elle redressa la tête et défia Woann du regard. Elle n'avait pas peur de lui et encore moins de sa position. A vrai dire, elle le désirait plus qu'autre chose.

WOANN •• « Tu es bien belle Thérara.. »

Jill esquissa un petit sourire, néanmoins touchée par le compliment. Il ne lui en faisait pas souvent, aussi cherchait-il peut-être à se rattrapper. Ou à l'enfoncer plus encore dans sa marre d'inconstance. Elle n'arrivait plus à aligner deux pensées cohérentes lorsqu'il s'agissait de lui.

THEARA •• « Je suppose que venant de toi, c'est un compliment. Mais depuis le temps, tu devrais le savoir, que je suis ravissante... »

Elle lui offrit un regard amusé, chargé de sous entendus. Il était probablement la personne qui la connaissait le mieux ici, autant physiquement que moralement. Et cette pensée la regaillardie à son tour : oui, il la connaissait bien. Voire même trop dans certaine situations. Ou bien pas du tout, parce qu'il ne comprennait fichtrement rien à ses regards et à ses paroles faussement détachées lorsqu'elle lui posait des questions au sujet de ses nouvelles aventures.

L'Incarnation se rapprocha un peu de lui, maintenant tout de même une certaine distance entre eux. Il créait toujours une sorte de magnétisme en elle et cette sensation si familière l'étonnait à chaque fois. Et à chaque fois elle y succombait, ce qu'elle ne devait plus faire. Encore une parole en l'air, sans doute.

THEARA •• « Que fais-tu ici ? Je croyais pourtant que tu avais fait de la Tour Eau ta nouvelle demeure... »

Jill avait lâché ses derniers mots dans un souffle. Elle détourna les yeux, évitant soigneusement le regard inquisiteur du jeune homme. Elle n'avait pas de compte à lui rendre et c'était réciproque. Mais cela lui avait échappé. Avait-elle réussi à masquer la pointe de jalousie qui s'était glissée dans ses paroles ? Elle n'en savait rien. Peut-être que lui-même n'avait rien remarqué. Il ne remarquait jamais rien en ce qui la concernait.