L’eau. Si fascinante et apaisante. L’attraction qu’éprouvait Sooshie remontait aussi loin qu’elle s’en souvienne à son enfance. Elle n’en connaissait pas l’origine, d’autant que son père en était phobique, et ne cherchait pas à comprendre. Elle aimait tout simplement l’eau. La boire, s’y baigner, peu importait. Son contact la réconfortait comme les bras d’une mère le feraient en enlaçant son enfant. Il suffisait qu’elle s’immerge pour que s’envole toute peine et souffrance. Elle pourrait y rester des heures si seulement elle en avait la possibilité, hélas, il y avait toujours quelque chose pour éclater sa bulle et l’arracher à ses douces rêveries. Comme sa détestable belle-mère, par exemple, qui tambourinait la porte de la salle de bain pour lui faire comprendre subtilement qu’elle devait laisser le champ libre.
Sooshie émergea précipitamment de la baignoire en toussotant, le cœur battant la chamade. Elle fusilla la porte du regard, mais se garda bien d’élever la voix. La mâchoire étroitement crispée, elle ravala, une fois de plus, ce qu’elle rêvait pourtant de cracher et inspira plutôt une grande bouffée d’oxygène. Son incapacité à exprimer ses sentiments était handicapante. Il fallait toujours qu’elle se rabaisse, qu’elle garde ses commentaires pour elle, alors qu’elle en aurait des choses à dire.
Mais on l’avait éduqué ainsi. Ne mets pas tes mains sur la table. Tiens-toi droite. N’ouvre la bouche que lorsqu’on te l’autorise. Etudie. Ne fais pas ci. Ne fais pas ça. Sois obéissante. Douce. Soumise. Serviable. Agréable. Silencieuse.
Sa grand-mère avait endigué sa véritable personnalité derrière un énorme mur qu’aujourd’hui encore, elle avait des difficultés à contourner. Ce n’est que pendant l’année de ses 10 ans que son père vint l’arracher des griffes de sa grand-mère pour vivre deux années de bonheur en Belgique. Le travail de son père lui prenait beaucoup de son temps, et c’était principalement à cause de cela qu’il n’avait pu s’occuper de l’éducation de sa fille. Parlant plus de 6 langues, il travaillait à l’ambassade de Bruxelles où il était bien évidemment très prisé.
Depuis la mort de sa femme, Daniel s’était plongé dans le travail plutôt que de sombrer dans l’alcool. A l’époque, ils vivaient tous les trois dans un immeuble, un joli petit appartement au troisième étage. Suite à un appel urgent, Daniel a dû quitter sa femme et sa fille vers l’heure du dîner pour aller travailler. L’incendie s’était déclaré un peu plus tard dans la nuit, un étage plus bas, une simple cigarette d’après l’enquête, mais cette dernière avait été dévastatrice.
Mais alors que la vie de Soo’ semblait plus agréable, il a fallu que son père tombe sous le charme d’une journaliste doté d’un égo démesuré et des manies de duchesse. Bien sûr, au début, Stéphanie semblait en tout point charmante, mais il s’est très vite révélé qu’elle n’aimait pas trop les enfants, et encore moins la relation complice que son père entretenait avec Soo. D’une jalousie maladive, et sans aucune gêne, cette femme a transformé sa vie en un véritable cauchemar. Ce serpent s’est si bien insinué qu’il avait plutôt bien réussi son boulot, à savoir éloigner le père et la fille.
De nouveau, Stéphanie martela la porte en aboyant. Soo’ grimaça et prit bien son temps pour s’habiller. Rien à foutre ! Elle n’était peut-être pas douée pour répliquer, mais elle savait très bien énerver son monde quand elle le voulait. VLAN dans tes dents la guenon. Après dix bonnes minutes, Soo se décida à sortir, snobant royalement sa belle-mère pour se diriger vers sa chambre, un léger sourire moqueur au coin des lèvres.

Soo ne supporta plus très longtemps la vie en compagnie de sa belle-mère, ce qui la poussa à choisir un lycée dans un pays voisin, la France. Grâce à ses notes excellentes, Soo entra dans une école privée. Se séparer de son père ne fut pas facile, mais elle s’y fit doucement. Voilà cinq mois maintenant que la jeune fille vivait à Paris et la vie là-bas lui sembla un peu plus belle. Elle étudiait des matières intéressantes, elle traînait avec quelques filles bien qu’elle ne participa pas aux conversations, son français était devenu parfait et elle s’était lancée dans l’espagnol et le chinois ayant décidé de suivre les traces de son père.

Soo tentait tant bien que mal d’accepter sa vie banale. Elle troqua ses livres fantastiques contre des bouquins sur la politique. Abandonna son rêve de devenir la petite sirène des Océans et se plongea dans ses études. Le sentiment de vide qu’elle éprouvait depuis des années ne fit que s’agrandir, l’engloutir mais notre anglaise préféra se convaincre d’être heureuse dans sa nouvelle vie creuse.

C’était pourtant un jour comme les autres, à exception près qu’il allait se dérouler quelque chose qui allait bouleverser à jamais sa vie. Ce soir là, Soo était partie travailler à la bibliothèque après les cours car elle avait un devoir assez important à terminer.
Assise dans son coin, Soo fronça légèrement les sourcils tandis qu’elle s’efforçait de trouver un mot pour sa rédaction. N’est-ce pas exaspérant lorsqu’on est persuadé de connaître le mot, mais que plus on fouille dans sa mémoire, on ne parvient toujours pas à mettre le doigt dessus ? Surtout lorsque ce mot empêchait d’avancer ! Frustrée, Soo était soudain prise d’une bouffée de chaleur. Elle desserra un peu sa cravate qui faisait parti de son uniforme et continua de se creuser la tête lorsqu’une voix lui souffla le mot comme par magie : « relation » . Soo se redressa vivement et poussa une exclamation qui fut aussitôt réprimandé par la bibliothécaire. Elle s’excusa et nota rapidement le mot sur sa copie, toujours sidérée d’avoir mis autant de temps pour trouver un mot si simple. D’accord elle n’en entretenait pas beaucoup mais quand même. Fronçant soudain des sourcils, Soo regarda autour d’elle, à la recherche d’une personne qui lui aurait soufflé ce mot, mais personne. Pourtant un petit rire moqueur se fit entendre, et elle jeta un regard à la bibliothécaire qui ne réagit pas. Le rire s’intensifia et pourtant personne ne regardait dans sa direction, ni ne le réprimandait. « Tu peux toujours continuer à me chercher, mais tu vas finir par te rompre le cou à bouger comme ça. » Les yeux gros comme des soucoupes, Soo frissonna. Personne à l’horizon, pourtant elle entendait cette voix aussi distinctement que si quelqu’un lui parlait en face. La voix était rauque, et exaspérante. « Qui est là, chuchota t-elle, montrez-vous ! » « Inutile de parler, tu ne veux tout de même pas passer pour une folle devant tous ces gens. Entendre des voix n’ait jamais bon signe. » Hein ? Non mais de quoi il cause celui-là ? Soo regarda sa montre et décida qu’il était temps de partir, et vite. Elle rangea ses affaires rapidement tout en continuant de jeter des regards soupçonneux autour d’elle, et courut presque jusqu’à la sortie sous le regard réprobateur de la bibliothécaire. Pendant dix bonnes minutes, elle tenta de fuir ce qui semblait être un détraqué et finit par souffler dans un coin, après avoir bien vérifié que personne ne lui collait aux basques. Une main sur le cœur, Soo tentait de calmer les battements de son cœur. « Tu peux toujours courir, mais on échappe difficilement à quelque chose qui se déroule dans sa tête ». Soo poussa un hurlement à faire pâlir un mort, s’attirant les regards noirs des passants. Elle se glissa dans une ruelle adjacente pour ne plus attirer l’attention et se mit à réfléchir à toute vitesse. « Personne, il n’y a personne, mais j’entends une voix. C’est pas normal, pas normal du tout. Je deviens folle ? Serais-je sujette à un dédoublement de personnalité ? Oulala, c’est pas bon, pas bon du tout. Je vais terminer dans un hôpital psychiatrique, on va me bourrer de cachetons et je vais finir par baver sur mon lit et à baragouiner des mots qui n’ont aucun sens même pour moi. Oh non, je suis trop jeune ! » « Woh woh ! Du calme ! Tu n’es pas si bavarde habituellement ! » « Chut ! Taisez-vous, ne me parlez pas ! Oui ignore la, c’est dans ta tête, suffit de l’ignorer, et ça ne se manifestera plus, c’est psychologique. Il faudrait que je lise quelque chose là-dessus.. » « Tu ne pourras pas feindre toute ta vie de ne pas m’entendre. » « J’ai dit, CHUT » s’écria t-elle à voix haute.

« C’est à moi qu’tu causes pétasse ? » Gloups… Soo se retourna pour tomber nez à nez avec une fille à peine plus âgée qu’elle. Elle avait le visage émacié, était habillée comme une trainée, et accompagnée de deux autres filles, à peine plus élégante. « Heu.. Non.. Non pas du tout. » Bégaya t-elle, le regard fuyant. « Ah ouais ? Et tu parlais à qui ? Au mur ? » « N..non, je.. je ferais mieux d’y aller. » « Je ne t’ai pas dit de t’en aller, tu vas revenir de suite ! » A peine avait-elle prononcé ces mots que Soo se retrouva brutalement attiré en arrière, éjecté par terre. Soo gémit de douleur à cause du choc et releva les yeux vers son bourreau. « Ouais, vas-y Tina, donne lui une leçon à cette bourge ! » La cible déglutit avec peine, tremblante de peur. Elle aimerait crier à l’aide, mais elle était tétanisée par la peur. « Lève-toi bon sang ! Tu ne vas pas la laisser gentiment te taper dessus ! » « Quoi ? Mais je sais pas me battre ! » « Considère ça comme un entraînement ! » « Mais vous êtes cinglé ! » « Je croyais que c’était toi la folle ? » Un claquement de doigt la fit sortir de ses pensées. « Hé ho ! Tu m’entends quand j’te cause ? Le cul par terre, tu continues à me snober ? Nan mais j’hallucine grave ! J’vais t’en coller tellement plein la tronche que plus personne ne te reconnaîtra ma belle ! » La dénommée Tina la souleva par le col pour la relever, et lui envoya une droite en pleine poitrine. Soo retomba par terre, le souffle momentanément coupé. Désorienté, les larmes aux yeux, elle se demandait comment elle allait se sortir de ce pétrin, et dans quel état. Elle n’avait jamais frappé qui que ce soit, ne s’en voyait pas capable. Une joute verbale était déjà impossible, alors se battre physiquement ? Elle sentit une main se refermer sur ses cheveux et tirer un coup sec lui arrachant un autre cri. Elle avait beau supplié qu’on la laisse tranquille, cette Tina portait tellement de haine qu’elle n’entendit rien et se mit à la rouer de coup. Soo était au bord de l’évanouissement, elle voyait trouble, avait la respiration difficile, et ses oreilles bourdonnaient si bien qu’elle n’entendait plus l’hystérique. Seule la voix d’origine mystérieuse se mit à résonner. « Ecoute moi attentivement Soo, ce n’est pas vraiment le moment pour t’expliquer qui je suis, ni de te révéler qui tu es, mais écoute. Je te connais, je sais tes points forts, tes faiblesses. Tu te laisses piétiner sans rien dire, non pas par envie, mais parce que quelque chose te bloque t’empêche d’éclater. Je peux t’aider à éclater ce barrage. Mais pour l’instant, tu dois te relever. Tu veux continuer à te faire marcher dessus pour le reste de ta vie ? A être constamment rabaissé, humilié ? Te laisser dicter ta conduite ? Est-ce que c’est ce genre de personne que tu veux être ?? .. Répond !!! » « Non.. » « Alors cesse de larmoyer et de supplier ! Prend ton courage à deux mains, et donne une raclée à cette dégénérée ! » « Oui.. » « Ne dis pas oui, et fais le !!! ». Les paroles eurent l’effet d’un électrochoc. Elle avait l’impression de voir soudainement clair dans sa tête. Sa vision s’éclaircit, sa respiration était toujours difficile mais elle parvint à se redresser légèrement. Elle ne savait pas d’où sortait cette voix, mais elle lui donnait confiance, courage ou bien de l’inconscience. En tout cas elle se releva, armée d’une détermination qu’elle avait toujours rêvé sans jamais osé la posséder. Elle sentait une rage contenue depuis des années se répandre tel un poison dans chaque partie de son corps. Une lueur démente anima son regard lorsqu’elle fit face à Tina, qui rigolait avec ses copines, en fouillant dans son sac qu’elles avaient subtilisé. Sa douleur semblait anesthésié, pour un moment sans doute, alors elle attaqua. Telle une furie, elle sauta sur son ennemie et se défoula comme jamais. Elle cracha sa fureur verbalement comme avec les coups, griffures, morsures. Elle ne se serait jamais cru détenir une telle force et pourtant, c’était maintenant Tina qui gémissait au sol, en la suppliant d’arrêter. Un sourire mauvais se dessina sur les lèvres de Soo qui n’avait aucune envie d’arrêter. Elle voulait l’achever, montrer aucune pitié. Avait-elle été clémente elle lorsqu’elle-même avait été à sa place ? Soo se sentait si puissante que s'en était enivrant, au point d’en perdre la tête. Le hurlement que poussa néanmoins une des filles pour appeler à l’aide ramena Soo à la raison. Elle secoua la tête et réalisa ce qu’elle venait de faire. Le souffle haletant, elle arracha son sac des mains d’une des deux filles et s’enfuit sans un regard en arrière.

« Tu sais tout maintenant. Tu peux décider de me croire ou non, mais tu as bien trop à gagner à me faire confiance. » « C’est juste que ça semble… si irréaliste. » « Je suis ce que tu attendais depuis des années Soo, tu n’as rien à perdre.» « Mmmh… » « Tu sembles toujours aussi sceptique. » « Et ça t’étonne ? » « Non. Je ne peux pas t’en vouloir. Mais avec moi, ta vie changera radicalement. » « Je sais, et j’ai peur. » « L’inconnu fait toujours cet effet, mais tu ne ressens aucune excitation ? » « Si.. Mais j’ai quand même peur que tout ne soit qu’un rêve, et d’être déçu. » « Tu aurais fait un rêve drôlement réaliste et qui aurais duré plus de deux semaines. Tu as mis du temps à accepter de me parler. » « … » « Que décides-tu ? » « Ça va faire mal ? » « Oui, mais brièvement. » « Du genre comme Bella dans Twilight quand elle se fait mordre ? » « Tu t’fiches de moi là ! Tu aimes cette merde ? » « Non, mais pour avoir son opinion, il faut bien juger par soi-même non? » « Mmmh. Vrai. Mais tu aurais pu choisir un autre exemple. Oui, ça ne sera pas une partie de plaisir, mais ce n’est qu’un vilain moment à passer, après tu ne te sentiras jamais aussi vivante. » « Bon.. Je marche ! » « Détend toi, et respire. » « Tu crois que j’dois me bâillonner ? » « Prends ta paire de chaussette et ferme là ! »

Voilà plus de deux ans maintenant qu’elle s’était unifiée avec son totem. Plus de deux ans qu’elle vivait une vie comme elle en avait longtemps rêvé. Soo s’était très bien intégrée dans sa Tour, avait beaucoup plus d’amis qu’auparavant, même s’il lui arrivait très fréquemment de s’éclipser seule dans un coin, et appréciait vraiment ses études.
Ce qu’il se trame dans la Tour de Feu, Soo ne veut pas s’en soucier, et les évite comme la peste depuis son arrivée. Tant qu’on la laisse tranquille, Soo ne sort pas les crocs mais elle reste néanmoins hostile vis-à-vis des élèves maîtrisant le feu.
Woann ? Elle le connaît de réputation évidemment, mais jusque là, n’a jamais eu la malchance d’être confronté à lui, sans doute parce qu’ils n’étaient pas de la même génération. En tout cas, autant dire net qu’elle ne l’apprécie guère. Son air suffisant l’agace, et sa violence lui fait peur. Ce n’est certainement pas elle qui irait se soumettre et exécuter chacun de ses caprices. Elle ne réagira que lorsque celle-ci se sentira personnellement menacé, voir une personne très proche d’elle, mais pour le moment, elle n’en a tout simplement rien à faire.

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et voici la preuve que j'ai bien lu les règles : validation effectuée
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