C’était leur première fois. Tout avait été convenu. Ils étaient jeunes et se prétendaient amoureux. Lune l’était plus sincèrement qu’Aaron ne le faisait. Mais cet Aaron il était tellement fascinant avec ses deux ans de plus, son assurance, son scooter… Il le changeait de son monde. Lune était un enfant de noble. Sa mère était un très grande aristocrate, duchesse ayant gardé le titre, qui ne vivait que pour défendre l’intérêt de son rang. Le beau monde. Depuis sa naissance elle avait tout mis en œuvre pour que Lune soit un génie. Elle n’avait pas eu à le forcer beaucoup, heureux détenteur de l’oreille absolue l’enfant s’était rapidement révélé très doué dans l’art de la musique. Plus particulièrement au piano, c’était un plaisir pour lui. Il eut un petit sourire en réalisant à quel point se perdre dans ses pensées alors que son petit ami venait de vous pénétrer pour la première fois était incorrect. La douleur était là, vive au début puis s’atténuant pour faire place à un plaisir coupable.

Voix » T’es du genre précoce toi !
Lune » QUOI ?
Aaron » OH MAIS NE CRIE PAS ! Qu’est ce qu’il te prend ?
Voix » Même quand tu es aussi proche de lui physiquement tu te sens seul…
Lune » CHUT !
Aaron » Parle moi Lune !
Lune » Continue ce que tu faisais ! J’ai envie de te sentir plus.
Voix » Nier que tu m’entends… tu peux faire tellement mieux.
Lune » Aaron, s’il te plaît, laisse moi deux minutes tout seul.
Aaron » Mais… on n’a pas f…
Lune » S’il te plaît.
Aaron » Très bien.

Aaron se retira, sans un mot, il sortit de la chambre et sans le dire, sans que ce soit ce qu’ils avaient convenu il sortit de la vie de Lune. Une rupture assez froide, silencieuse. Une rupture à l’image de leur couple, illogique. Mais le jeune Montebello n’en tenait pas rigueur, il était trop perturbé pour tenter de le rattraper, pour lui dire qu’il l’aimait. La vérité des choses était là. Mais alors qu’en temps normal il aurait couru pour rattraper son petit copain, là, il était cloué au lit. La voix dans sa tête semblait avoir disparue.

Voix » Ouais, ouais c’est ça, tu crois qu’on se débarrasse de moi comme ça toi ?
Lune » T’ES QUI BORDEL ?
Voix » Holà ! Faut se calmer le mioche !
Lune » JE N’AI PAS ENVIE D’ETRE CALME !
Voix » Lune ne fait pas l’enfant.
Lune » Tu… connais mon nom ?
Voix » Tu es calmé ?
Lune » Ouais si on veut.
Voix » Je t’explique, je m’appelle Kazehime Hiniku. Je suis la plus belle de toutes les buses.
Lune » Les buses c’est les espèces de grosses chouettes ?
Kazehime » Tu te moques de moi là ???
Lune » Oui un peu.

Les minutes passèrent, la conversation prit une tournure des plus étranges pour le gamin rêvant d’évasion qu’était Lune. La magie, les gardiens, l’école de magie… Il était totalement perdu. Quand vint le moment d’accepter ou non le cadeau que la buse lui faisait il ne sut pas se décider. Mais sa solitude même lorsqu’il était en société il lui arrivait d’être éperdument seul. Cette compagnie vivante, qui avait une conscience propre et qui était là pour l’aimer c’était la seule façon de commencer à vivre pleinement.

Lune » Hiniku, je peux t’appeler Hiniku ?
Kazehime » Ou Kazehime, ou Kazehime Hiniku. C’est à toi de voir petit homme.
Lune » C’est bien parce que j’ai toujours pensé que ça serait cool d’être schizophrène que j’accepte.

La douleur le saisit, entre les hanches. Il était sur son lit tordu de douleur, se débattant seul contre un mal qui ne lui venait de nulle part. Combien de temps dura-ce ? Il n’aurait pas été capable de le dire. Le temps est une chose qui nous échappe lorsque notre attention se focalise sur quelque chose d’aussi puissant que la douleur. Mais quand les choses lui revinrent il découvrit un nouveau monde. Ce n’était plus du tout la même chose qu’avant, les formes, les objets, tout lui apparaissait plus clairement, ses yeux pouvaient se focaliser sur un détail et le reste disparaissait comme pour qu’un zoom s’effectuât sur le dit objet. Et pourtant ce n’était rien, rien en comparaison avec ses sens quand il serait Kazehime Hiniku.

Atahana venait de partir, elle avait passé une semaine dans le manoir familial des Montebello. L’ambiance entre les deux jeunes adultes était au beau fixe. Ses deux là étaient plus que des amis, ils étaient… un duo qui éclipsait le reste lorsqu’ils étaient ensemble. La mère de Lune, Yacinthe, avait passé une semaine loin de tout contact, avec lui et avec l’invitée. Pourtant cette femme de la noblesse n’était pas du genre sauvage, son niveau d’éducation était tel qu’elle avait la tendance extrême d’être parfaitement transparente, elle avait l’image même de la parfaite hôtesse alors qu’elle crachait son venin dans des pages de journal blanches.

Lune » Maman il faut qu’on parle.
Yacinthe » Oui, je le crois.
Lune » Tu t’es montrée des plus méprisables avec Atahana !
Yacinthe » Et pour cause…
Lune » C’est ma meilleure amie ! Tu n’avais pas le droit d’être aussi froide avec elle.
Yacinthe » J’ai tous les droits dans ma maison. Encore plus quand ça concerne cette fille. Et toi.
Lune » Mais c’est quoi ton problème ? Elle ne t’a rien fait, rien dit ! C’est la fille la plus polie que je connaisse, on a le même type d’éducation elle est parfaite !
Yacinthe » Tu ignores tellement de choses encore.
Lune » EXPLIQUE LES MOI !
Yacinthe » Lune… tu as 21 ans… il est temps effectivement. Tu sais que tu n’as pas de père et que nous sommes une famille de Gardiens…
Lune » Continue.
Yacinthe » Ton père n'en était pas un. Sauf que je n’étais pas son officielle. Nous avons eu une aventure, il était marié, moi pas. On s’aimait. Mais il a choisi de rester auprès de sa femme, de son fils et de sa fille.
Lune » Logique t’étais celle sur qui il se vidait…
Yacinthe » Ne parle pas comme ça.
Lune » Excuse-moi, je ne vois pas où tu vas en venir.
Yacinthe » Cet homme… son nom de famille… c’était Hopkins.
Lune » QUOI ?
Yacinthe » Atahana est la fille de ton père. Tu es son demi-frère… Et je ne voulais absolument pas qu’elle vienne chez nous, je suis sûre qu’elle sait déjà et que son père a voulu me provoquer.
Lune » N’importe quoi, Atahana ne le sait pas, et je vais devoir le lui dire. Je sais pourquoi son père ne m’appréciait pas alors… mais Maman ! Tu aurais dû me le dire !
Yacinthe » Je ne savais pas comment.
Lune » Et bien moi je sais comment te faire regretter.
Yacinthe » Lune !

Un battement d’ailes, un bruissement d’air. LLa buse fendait les airs, la conversation intérieure qui liait Lune à Hiniku, le temps avait fait qu’il ne l’appelait presque plus qu’ainsi., ressemblait à une complainte interminable. La buse comprenait et même si elle lançait des remarques que l’on pouvait qualifier sans honte de cinglantes, elle le faisait toujours dans un but humoristique. Après quelques minutes de vol, Hiniku avait réussi à le détendre de nouveau. Mais maintenant, la pression tombait sur ses épaules. Il devait parler à Atahana, lui raconter tout ce qu’il venait de découvrir. Il ne pouvait pas le faire avant de reprendre les cours, ne pouvait pas le faire sans la regarder dans les yeux. Une lettre aurait été source de malentendus. C’était ça, le Gardiennage. Toujours avoir une personne sur qui compter. Un rire, discret à peine prononcé, unit les deux facettes de cette entité.

Une semaine était passé depuis qu’ils s’étaient rencontrés. Une semaine durant laquelle les choses avaient changé, Lune avait commencé à entrapercevoir une lueur de sensation, de sentiment parfois même. Mais c’était déjà le temps des adieux, ou du moins des au revoir. Avec la promesse induite et tacite de ne pas s’oublier, que les souvenirs seraient conservés. Lune n’en revenait pas de penser ainsi. Mais cet homme, de huit ans son aîné, ce grec qu’il avait rencontré un soir dans un bar, était déjà une part de son passé. Et pourtant une part à laquelle il aurait tellement voulu goûter plus. Mais la rentrée approchait, il le savait et en un sens ce départ, ce presque abandon d’une situation de couple en formation, était la meilleure chose qu’il puisse lui arriver. Persée… il avait regardé en arrière avant de monter dans le train, leur dernier baiser avait été amer, presque triste. S’il avait été un grand romantique, il aurait pensé qu’en perdant cet homme de vue, il passait à côté de quelque chose de vraiment fort.

Hiniku » Tu le reverras peut-être plus tôt que tu ne le penses.
Lune » Je ne le reverrais pas.
Hiniku » Pourquoi tu ne lui as pas demandé son numéro ?
Lune » Pour qu’il tente de me joindre à l’école… Hiniku t’es stupide.
Hiniku » Je m’égarais dans mes pensées. Peut-être que si tu l’avais pris… à la fin de tes études tu aurais pu le recontacter… non ?
Lune » D’ici deux ans il aura fait sa vie. Parlons d’autre chose.
Hiniku » Comme du bien terrible qu’on a pris quand il posait ses lèvres sur ta…
Lune » KAZEHIME HINIKU VOUS ETES GRAVE!!!
Hiniku » Il paraît que cela fait mon charme.
Lune » Merci Hiniku.
Hiniku » De rien petit homme.

Sur le quai de gare… comme il aurait voulu monter, voler un dernier baiser à cet homme avec qui il avait secrètement partagé plus qu’un lit, qu’un moment de sa vie. Il avait partagé les instants en se sentant en harmonie avec lui. Et Lune en était effrayé, Kazehime amusée, mais la vérité, c’était que tous les deux espéraient, chacun pour l’autre autant que pour soi, qu’ils reverraient le beau Persée.

La chose qu’ils ignoraient c’était qu’ils le verraient bien plus tôt qu’ils ne s’y attendaient.