Paraît que je dois vous raconter ma vie. J’ai pas que ça à faire mais bon, je comprends votre curiosité. Je suis pas n’importe qui après tout. Bon, on va commencer par le commencement hein ?
* * *
Je suis né un 1er août à l’est de l’Angleterre, dans une petite ville industrielle du nom de Scunthorpe, dans le Lincolnshire. Étrangement, c’était un jour d’orage... Ça annonçait peut-être ma vie tumultueuse. Enfin, je laisse ça à votre interprétation. Moi personnellement, je ne crois pas au destin. Tout ce que j’ai réussi dans la vie, je l’ai fait par mes propres moyens, en me battant pour obtenir ce que je voulais. Rien à voir avec la fatalité. Enfin, pas sûr. Le fait que mon Totem soit un des quatre grands Esprits n’est sans doute pas anodin. Mais ça, on y reviendra. Je sens que vous êtes curieux de faire connaissance avec mes parents…
Vous serez déçus ! Je peux pas dire que j’ai eu une enfance qu’on pourrait qualifier de "normale". Mes parents étaient jamais là pour moi. Ouais, je ne les ai jamais vraiment connus en fait alors j’ai pas grand-chose à vous dire sur eux. Mon père était alcoolique et passait plus de temps à cuver au bar qu’à travailler pour faire vivre sa famille. Ma mère quant à elle n’était pas plus présente. Je sais pas trop ce qu’elle faisait comme boulot et je préférais sans doute pas le savoir. J’ai donc grandi dans une certaine solitude et dans une totale absence d’amour parental. Mais je n’en ai pas souffert tant que ça finalement. La solitude ne me dérangeait pas et je ne voulais pas d’amour. Je ne connaissais absolument pas ce sentiment, alors comment aurais-je pu le regretter ?
J’ai vite appris à me débrouiller tout seul et j’ai pris goût à l’indépendance et à la liberté. J’avais tout juste huit ans quand j’ai commencé à me lancer dans des petits ou gros trafics en tous genres. C’était autant pour me faire de l’argent de poche que par plaisir de violer les règles établies. J’ai toujours été subversif comme garçon. Je n’aimais pas obéir. L’absence de discipline parentale y était certainement pour quelque chose. J’ai aussi rapidement compris qu’en manipulant les gens, il était facile d’obtenir tout ce qu’on voulait. Et il s’avéra que j’étais très doué pour ce petit jeu. J’avais toutes les qualités nécessaires : une belle gueule, un sourire d’ange, une voix de velours, un esprit vif et intelligent, un brin de charme, un talent pour le mensonge, juste ce qu’il fallait d’hypocrisie et aucun sentiment. Avec tout ça, c’était vraiment très facile d’embobiner les gens. Et ça me plaisait assez.
En quelques années à peine, j’avais une réputation dans ma ville natale et une petite fortune. Mais aucun ami. Je n’avais ni l’envie ni le besoin de me lier à quiconque. Je me suffisais à moi-même, vous voyez. Les autres n’étaient pour moi que des jouets, des chevaux à exploiter et à changer au prochain bureau de poste une fois sucé jusqu’à l’os. D’autre part, j’étais étonnamment instruit pour un jeune garçon qui n’allait presque plus à l’école. Bah ouais, je trouvais les cours bien trop barbants et les profs trop opprimants. Alors je préférais apprendre les choses de mon côté, seul. Et je m’en sortais très bien comme ça figurez-vous !
Mais ce que j’avais n’était jamais assez. J’en voulais plus, toujours plus. A l’adolescence, je finis par trouver la vie terriblement terne et sans intérêt. Rien ne parvenait plus à me distraire, ni la naïveté de l’être humain, ni sa bêtise, pourtant infinie parait-il. Alors, persuadé d’avoir vu tout ce que le monde pouvait m’offrir et déçu par cette pâleur et cette pauvreté, je voulus en finir avec la vie. C’est à ce moment-là que je l’entendis. Cette voix puissante, grave et envoûtante. La voix de mon Totem.
* * *
J’étais sur un rail de train. Le chemin de fer restait encore à l’époque un des principaux moyens de relier entre eux les différents pôles industriels comme ma ville natale. Allongé, immobile, calme, je regardais le ciel, chargé de lourds nuages gris. La pluie n’allait pas tarder. Je détestais la pluie, je détestais l’eau. Quelle idée de vivre en Angleterre, où il fait froid et humide. Mais j’étais là, sur cette voie de chemin de fer rouillée par le temps, et j’attendais. J’attendais la mort. Mais voulais-je vraiment mourir ? Je ne sais pas. Peut-être espérais-je inconsciemment qu’un quelconque évènement vienne m’intriguer, me redonner envie de vivre. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est exactement ce qui arriva.
Au moment même où j’entendais le bruit lancinant des roues de la locomotive, une voix résonna dans mon esprit. Une voix à la fois inconnue et familière.
« Ne reste pas là. » Je ne peux expliquer pourquoi j’ai obéi sans aucune hésitation. Sans doute ma curiosité l’avait-elle emportée. Qui était-ce ? Comme c’était étrange quand même. Voilà quelque chose de surprenant ! Décidément, la vie me réservait encore des surprises et j’en étais ravi. Avec un tel mystère, tombé comme une providence, je n’allais quand même pas me suicider tout de suite. Je me suis donc éloigné de la voie et je me suis assis un peu plus loin, guettant cette voix à l’intérieur de ma tête. Je savais que je l’entendrai encore. J’aurai pourtant pu croire que j’étais devenu cinglé, mais ce ne fut pas le cas. Je me sentais au contraire tout à fait lucide, comme si mon moi pressentait ce qui allait se passer. Mon Initiation.
La voix se refit entendre peu après, comme je l’avais supposé. Elle m’expliqua tout ce que j’avais besoin de savoir. Elle me dit que j’étais un Gardien et qu’elle était mon Totem.
« Qu’est-ce qu’un Gardien ? »« Un être mi-homme mi-animal. Il a pour mission de protéger son Élément avec son Totem. Le Totem est l’Animal frère du Gardien. C’est de lui qui le Gardien tire sa force et sa magie. »Mon Totem poursuivit ses explications dans mon esprit. Il me révéla que nous étions promis à de grandes choses ensemble et que nous serions liés pour toujours après notre "fusion". J’accueillais ses révélations avec une avidité incontrôlable. Ça dépassait toutes mes espérances.
Je garde aujourd’hui encore un souvenir très vif et très net de l’intégration de l’âme de mon Totem. Nos deux âmes en moi se fondaient pour n’en former plus qu’une. C’était douloureux. Mais je ne m’étais jamais senti aussi vivant et aussi heureux d’exister. Je le sentais entrer en moi, devenir moi. La douleur me rendait incroyablement lucide. Ma mémoire n’en fut que plus prompte à imprimer en elle chaque seconde de ce rituel.
Lorsque le processus fut achevé, j’eus l’impression de m’éveiller d’une longue torpeur. Mes sens s’étaient fortement aiguisés, je ressentais tout avec une intensité et une précision nouvelle. Ma témérité passée, bien que louable pour le pauvre humain que j’étais, me paraissait dorénavant presque risible. Je me rendis aussi compte très nettement de ce que j’avais toujours cru vaguement sentir : mon affinité avec le feu. J’avais ainsi acquis une puissance que je n’avais jamais imaginée. Et j’en acceptais les conséquences avec plaisir : je n’étais plus humain, j’en étais bien conscient. J’étais plus que cela. J’étais enfin moi.
Mon Totem me dévoila son véritable nom au terme de l’Initiation, un secret que je gravais en moi pour l’Éternité. Non non, je ne vous le dirais pas, pas même à vous. Je n'eus par contre pas besoin qu'il me dise quelle était sa forme animale ; je sentis immédiatement la Panthère en moi, faisant désormais partie de ma chair, me communiquant ses instincts. La Panthère... Un prédateur élégant, vif, puissant, solitaire.
* * *
Mon initiation a été un véritable tournant dans ma vie ; ça a littéralement tout changé. J’ai soudain découvert une nouvelle raison de vivre, et surtout de vivre différemment. Je n’étais plus un faible humain, j’étais un Gardien en devenir. Je n’étais plus comme les autres. Un tout nouvel horizon s’offrait à moi et je n’avais qu’une hâte : le conquérir. Oui, mon unique envie était d’apprendre à maîtriser ma nouvelle puissance et acquérir plus de pouvoir. En tant qu’Apprenti Gardien, j’ai intégré donc l’école Bewitching à 15 ans. J’étais un élève digne de ma Tour : arrogant et cruel, je me faisais craindre par la force au sein même de mes camarades du Feu. Je n’avais aucun ami, je ne m’attachais pas, je ne respectais personne, pas même mes professeurs que je ne jugeais pas à la hauteur de mon talent. Le seul et unique être à qui j’accordais mon respect dans l’école, c’était le Directeur. Il faut savoir que j’ai très vite noué des liens avec lui. Il avait bien senti mon potentiel et nous étions fait pour nous entendre je crois... Enfin, notre lien est assez particulier. Qu’est-ce que je veux dire par là ? Hum allez savoir...
En tous cas, il croyait en moi et c’est pourquoi il m’a soutenu quand j’ai convoité le rang d’Incarnation du Feu. J’étais très ambitieux et ça m’a réussit. J’en suis pas peu fier d’ailleurs. Ma puissance incontestable, mon talent de métamorphose et mon charisme de leader ont fait de moi le chef de la Tour du Feu. J’avais de plus un indéniable avantage qui faisait de moi le meilleur prétendant à cette place : mon Totem était la Panthère, un des Quatre Esprits. J’étais donc fait pour être l’Incarnation.
Mais comme à chaque fois, même ça ne m’a pas suffit. Pas du tout. J’avais besoin de me sentir plus vivant, de frôler la mort, d’opprimer les faibles par ma toute puissance. Je voulais que la vie me distraie encore plus, c’est tout. Je n’aime pas m’ennuyer. Et se contenter de ce qu’on a, ça devient très vite ennuyeux. Il fallait que ça change, il fallait bousculer cette tranquillité, cette paix. J’ai donc amené le Chaos à Bewitching.
* * *
Le Feu est puissant, destructeur, purificateur aussi. Il brûle le bois, fait s’évaporer l’eau et se sert de l’air. Il est indéniablement le plus fort des quatre éléments non ? Il est donc normal qu’il domine les autres. C’est pourquoi j’ai décidé de prendre le pouvoir. Il était temps que le Feu dévoile sa supériorité et fasse preuve de son autorité. Meneur impitoyable de la Révolte du Feu, j’ai séduit sans difficulté les élèves de ma Tour et tous m’ont suivi dans cette lutte déraisonnée pour la domination. Et dans un tel combat, tous les coups sont permis. J’en ai donc profité au maximum, ne reculant devant rien pour arriver à mes fins. Comme par exemple séduire la jolie Atahana, Incarnation de la Terre...
Il ne me fut pas difficile d’approcher la chef de la Tour de la Terre. Après tout s’il y a bien un élément avec lequel peut s’entendre le Feu, c’est la Terre. Mais en fait, c’était bien plus compliqué que ça entre elle et moi. Lorsque j’ai vu Atahana pour la première fois, j’ai sentis quelque chose que je n’avais jamais ressenti auparavant. C’était indéfinissable, indicible ; un peu comme un besoin, une attirance, une reconnaissance. Est-ce la raison pour laquelle je l’ai choisi pour cible ? J’aime à croire que non. Je vous l’ai déjà dit, je n’aime pas trop penser que mon destin est tout tracé. Je préfère croire que c’est moi qui fais de ma vie ce qu’elle est. Je trace mon propre chemin.
Mon plan initial était donc de m’assurer l’alliance de la Terre en lui faisant des avances. Sensible à mes charmes semble-t-il, la demoiselle et moi avons alors commencé à nous fréquenter. Nous sommes devenus amants ; notre relation n’était bien vitre plus un secret pour personne. Mais cela ne nous engage à rien. Oui, j’ai toujours tenu à ce que ça reste purement sexuel. Je n’ai pas changé, je ne veux pas me lier sincèrement et intimement à qui que ce soit. Je ne veux dépendre de personne.
Je me considère donc comme libre et célibataire. Mon grand plaisir est de m’amuser avec les femmes. Je n’ai cependant jamais forcé aucune d’entre elle à me rejoindre dans mon lit, mais il n’est pas si difficile de faire craquer ces demoiselles et comme je suis un grand séducteur et un prédateur efficace, aucune n’a encore su me dire non. Et si ça arrivait un jour ? J’aimerai bien voir ça... Enfin, malgré mes conquêtes, je cultive mon image d’homme insaisissable, froid et cruel. Mais ne serait-ce qu’une image, un masque ? Serais-je moins insensible que je le pense et que je le fais croire ? Moi qui n’ai jamais voulu ni amour, ni amitié, pourquoi donc Atahana occupe-t-elle toujours mes pensées ? J’ai l’impression de m’y être attaché plus que je ne le voulais... Je suis pourtant sûr de ne pas en être amoureux. Mais alors pourquoi cette obsession ? D’où vient ce besoin de la voir et de la protéger ?
* * *
Mon rapprochement avec l'Incarnation de la Terre et les démonstrations de force au sein de l’école ont finalement amené le Feu à devenir prédominant. C’est un premier pas vers le succès n’est-ce pas ? Mais asservir Bewitching n’est qu’un de mes ambitieux projets. J’ai aussi et surtout organisé les meurtres de beaucoup de Profanes. Et je le revendique ! Ces êtres faibles et dénués de Magie ne méritent pas de vivre ; ils dénaturent le monde que je veux créer. Il faut donc les éliminer, les éradiquer de la surface de la Terre. C’est désormais ma raison de vivre, quoi que vous en pensiez. D’autant que ces vils créatures fomentent des plans contre Bewitching. Comme si on allait les laisser faire !
Voilà, je pense que vous savez ce qu’il y a à savoir sur moi. Je suis pas quelqu'un de sympathique et de sociable alors espérez pas que cette petite entrevue nous ait rapproché. Si on se croise dans un couloir prochainement, contentez-vous de ma cruauté ou, si je suis dans un bon jour, de mon indifférence.
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